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  • Photo du rédacteurSamantha Bailly

3 questions à Samantha Bailly

1) Pensez-vous que la législation actuelle protège suffisamment les auteurs dans le cadre de leur activité professionnelle. Pouvez-vous, à travers des exemples de votre vie quotidienne, justifier votre réponse.


Je pense que la législation actuelle protège très peu les auteurs et autrices dans le cadre de leur activité professionnelle. En dix ans de métier, mon parcours a été émaillé de difficultés me mettant face à des angles morts, des vides juridiques, des absences. À la réflexion, ces difficultés sont celles que rencontrent n'importe quelle personne travaillant... sauf que dans ce cas précis, quand il s'agit du travail de création, on se retrouve face à une absence complète de réponse et d'encadrement. Si le monde du travail actuel pour l'ensemble des Français est évidemment aussi composé de complexités, je décrirais volontiers le monde du travail pour les artistes-auteurs et autrices comme une jungle sans aucune règle, dans lequel le rapport de force individus/entreprises très, très, très déséquilibré. Rapidement, des maisons d'édition m'ont proposé d'écrire des livres pour telle ou telle collection : j'ai vécu à répétition des situations dans lesquelles je travaille pour une entreprise, étant liée par un contrat d'édition, mais sans aucune protection concrète à l'instant T où j'écris. J'emploie volontairement des termes très pragmatiques pour décrire l'écriture, car j'ai bien compris au fil du temps que mon propre discours romantisé sur mon activité faisait partie du problème de fond : on esquive la réalité. Les exemples personnels sont légion, pour éviter une dissertation de 20 pages, je vais en donner quelques un : durant une période, mon médecin m'a prescrit un arrêt maladie, mais j'étais engagée à rendre un roman à une date précise dans mon contrat d'édition, avec une certaine pression. Pour ma santé physique et mentale, il aurait fallu que j'écoute le médecin et m'arrête. Mais dans la réalité, je savais très bien que ce droit élémentaire (finalement peu connu des maisons d'édition elles-mêmes) serait perçu comme un "faux-bond", et que dans ce cas précis, c'est-à-dire terminer mon roman, personne ne pouvait me remplacer évidemment. Il y avait la peur de ne plus avoir de contrats avec cette maison d'édition, dont dépendait à l'époque la grande majorité de mes revenus. L'envie évidemment de parvenir à terminer ce roman si important. Mais aussi la totale dissonance cognitive entre un droit social que j'avais en principe (droit à un arrêt maladie) et mon contrat d'édition qui stipulait des engagements spécifiques à respecter : tournée de promotion, date de rendu exactes du manuscrit, délai des corrections etc. J'ai donc tiré sur la corde, jusqu'à vivre un burn-out. Ce burn-out, j'ai mis aussi beaucoup de temps avant d'en parler autour de moi : dans des métiers aussi incertains, on ne voudrait pas renvoyer une image négative de soi, ou donner signe de faiblesse. Avec le recul, cette "rupture" mentale était inévitable compte tenu de mes conditions de travail : rémunérations basses, négociations contractuelles difficiles, précarité, méconnaissance de mes droits, rythme d'écriture intense, violence psychologique omniprésente dans l'une des maisons d'édition dans lesquelles je publiais, harcèlement sexuel, la liste est longue. Ce qui conduit à un second exemple : les tournées de dédicaces. Un jour, l'un de mes éditeurs m'invite à déjeuner pour parler de la sortie de mon dernier livre. Notons le contexte du déjeuner : un classique dans l'édition, alors que cette discussion aurait en réalité nécessité une réunion de travail, tout simplement. Je suis perplexe car au moment de la sortie de mon livre, l'attachée de presse en charge de sa promotion a disparu (j'apprendrais plus tard qu'elle est en contentieux avec l'entreprise), et qu'aucune communication n'est faite autour. L'éditeur confirme mes craintes et m'explique que le livre ne marche pas aussi bien qu'il le pensait, et que pour rectifier le tir, l'idée serait que j'intensifie la tournée de dédicaces. Je tiens à préciser que dans ce cas, les enjeux psychologiques sont importants : l'éditeur fait bien comprendre toute la déception de cet "échec commercial". J'accepte, voulant faire mon possible pour que ce livre auquel je suis profondément attachée, qui m'a demandé un an de travail, puisse trouver ne serait-ce qu'un petit sentier jusqu'à ses lecteurs potentiels. Si j'ai toujours été rémunérée pour les interventions grâce aux tarifs de la Charte, à l'époque je n'osais pas demander d'être rémunérée en dédicaces : c'était tellement à contre-courant de tout ce que je voyais ! Je me suis ainsi retrouvée à être sur les routes toutes les semaines en salon, avec évidemment la joie des rencontres, mais aussi la fatigue qui s'accumulait, les retards aussi car ce temps pris en "représentation" n'est guère compatible avec l'écriture. Dans de nombreux contrats d'édition, accepter ces sollicitations est une obligation. J'ai compris par la suite que finalement, j'étais devenue chargée de communication de mon livre durant cette période (et sur les réseaux sociaux, et en chair et en os), pour un livre rémunéré 3000 euros d'à-valoir, dont les ventes étaient trop faibles pour le "rembourser" donc sur lequel je ne toucherai probablement jamais de pourcentages. Une grande partie des ventes de cet ouvrage ont été en réalité assurées par cette tournée intensive. Si je m'étais imaginons, cassée le bras pendant l'une de ces tournées, que se serait-il passé ? Aurait-on considéré que je travaillais ? Dans quel autre métier ce temps, cette énergie, n'a absolument aucune valeur ?

Cela conduit au 3e exemple : la maternité. Lorsque suis tombée enceinte, j'ai refusé de signer le moindre contrat d'édition, tout en ayant le stress constant de ce que ces refus constitueraient comme "coup d'arrêt". Mais j'avais tiré quelques enseignements d'avoir trop tiré sur la corde et m'étais organisée pour que cette période se déroule au mieux. La question n'était pas d'écrire ou de ne pas écrire, mais de ne pas être liée par un contrat dont les obligations allaient forcément entrer en collision avec mon congé maternité, d'une façon ou d'une autre. J'avais le triste exemple de l'une de mes collègues dessinatrice, tombée enceinte lors du tome 2 d'une série. Pour assurer au mieux les délais de parution, elle s'est retrouvée à dessiner pendant son congé maternité - alors que certains difficultés durant la grossesse le contre indiquait clairement - avant et après la naissance du bébé. Et même sans nouveaux contrats, il ne faut pas oublier que les livres continuent de vivre : à tout moment, on peut être sollicité pour relire une réédition, écrire une préface, valider une nouvelle couverture, etc. Malgré des démarches très précoces avec l'assurance maladie, j'ai reçu mes indemnités de congé maternité quand mon bébé avait 5 mois. J'avais anticipé tout cela de ce que j'avais pu observer... mais est-ce bien normal ? Est-ce normal après 10 ans de carrière et de cotisations qui vont avec, de devoir harceler tous les 2 jours la CPAM pour avoir son dû ? Est-ce normal de craindre de tomber enceinte quand on a signé un contrat d'édition ?


2) Avez-vous pu faire le constat d’une évolution dans la négociation de vos contrats d’auteurs depuis le début de votre carrière ?

Hélas... en négatif. De mon expérience personnelle, les accords CPE/SNE de 2014 ont eu des effets dans la négociation des contrats. D'abord, très peu d'auteurs avaient en soi entendu parler de ces accords, jusqu'à ce que leur éditeur leur en parle. Je me souviens très bien du jour où j'ai voulu demander un contrat dont la cession des droits serait limitée dans le temps, c'est-à-dire 10 ans, ce qui se pratiquait à l'époque dans cette maison. Cette même maison m'a répondu qu'en vertu des accords 2014, il était impossible d'accéder à ma demande puisque les "normes" établies par les auteurs et les éditeurs étaient de céder ses droits pour le temps de la propriété littéraire et artistique... que la base juridique soit ou non contestable n'est peut-être même pas le sujet : en fait, ces accords négociés au nom des auteurs, sans une vraie représentativité élaborée des auteurs, n'a fait que donner un levier supplémentaire aux maisons d'édition qui sont équipés de juristes, d'avocats, pour de toute façon travailler à des contrats qui seront à leurs avantages. Avec les accords de 2014, j'ai l'impression qu'on a voulu mettre tout le monde autour de la table, ce qui en soi est louable, mais avec non pas l'ambition de parler des conditions de travail des auteurs et autrices, mais d'essayer d'atténuer les cas d'abus d'exploitation - souvent déjà en soi illégaux du point de vue du CPI - qui sévissent dans l'édition. Je dirais que le seul point positif est malgré tout les précisions apportées sur les redditions de compte, mais qui sont dans les faits très peu respectées par les maisons d'édition.


3) Si vous étiez en mesure de mettre en œuvre trois mesures concrètes pour renforcer la protection de votre métier, quelles seraient-elles ?

D'abord, élaborer et consolider une représentativité des auteurs et autrices. Sans représentativité et reconnaissance d'une profession, nous n'obtiendrons jamais rien. C'est le socle fondateur pour toute avancée sociale significative.

Ensuite, reconnaissance du travail créatif : c'est-à-dire distinguer ce qui est de l'ordre du travail de création de la cession des droits, qui sont deux territoires et deux temporalités différentes. Cela permettrait de sortir le temps de création de son invisibilisation actuelle. Enfin, la formation. On entre dans ces professions par le prisme de son vécu, de son parcours personnel, et c'est bien ce qui fait la richesse de notre sensibilité, de notre vision du monde. Mais cela ne devrait pas être antinomique d'une certaine lucidité sur un milieu professionnel. Et qui dit milieu professionnel, dit droits, devoirs, bref, règles du jeu à connaître.

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