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Denis Goulette

Le mécanisme de révocation des contrats d'auteur trahi deux fois par ses traducteurs.

Tout praticien du secteur culturel est habitué à voir des clauses prévoyant des cessions de tous les modes d'exploitation possibles et inimaginables des oeuvres, pour toute la vie de leurs auteurs plus 70 ans à compter de leur mort.


Tout praticien connaît également l'obligation générale, faite à tout bénéficiaire d'une cession, d'exploiter les droits cédés conformément aux usages de la profession (L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle).


Il est malheureusement constant que certains droits cédés ne font l'objet d'aucune exploitation. L'autrice ou l'auteur souhaitant dans ce cas récupérer ses droits doit faire constater cette absence d'exploitation par un juge, ce qui représente des frais d'avocat tout à fait dissuasifs.


C'est en partie pour cela que la directive sur le droit d’auteur du 17 avril 2019 impose aux Etats membres de l'Union Européenne de prévoir un mécanisme de révocation des contrats qui puisse être mis en jeu par l’auteur en cas de “lack of exploitation” de son œuvre (article 22).


Le principal enjeu de ce mécanisme est de créer un régime de « plein droit », qui évite à l'autrice ou à l'auteur un couteux contentieux pour obtenir la résiliation de ses droits non exploités, et laisse à son exploitant le soin de contester son action s’il le juge nécessaire.


Le législateur européen entendait ainsi redonner "la main" aux autrices et auteurs.


Ce mécanisme a été trahi une première fois par les services de la Commission Européenne chargés de la traduction en français de la directive.


Une traduction littérale des termes anglais aurait théoriquement dû conduire à choisir pour la traduction française les termes « manque d’exploitation ».


Ce sont pourtant les termes « non-exploitation » qui ont été choisis pour la traduction française, nettement plus défavorables aux auteurs.


A ce niveau, il faut comprendre que seules les juridictions européennes pourraient être en mesure de statuer sur une contestation de la traduction française ainsi réalisée par la Commission Européenne. Il s'agirait d'un contentieux très couteux, qu'il est peu probable de voir un jour compte tenu de la faiblesse des syndicats et organisations professionnelles d'auteurs en France.


Une fois le texte français de la directive adopté au niveau européen, le gouvernement français était en principe tenu par la traduction ainsi choisie.


C'est pourtant là qu'intervient la deuxième trahison, réalisée cette fois par le gouvernement français ayant transposé ce mécanisme par voie d'ordonnance, en créant un nouvel article L.131-5-2 dans le code de la propriété intellectuelle.


Ainsi la mise en œuvre de ce mécanisme de révocation est conditionné à une « absence de toute exploitation ».


Les services du ministère de la Culture ont ainsi restreint le champ d’appréciation de ce qu’il faut entendre par “lack of exploitation” ou “non exploitation”, termes qui avaient le mérite de laisser une marge d'appréciation, à mettre en corrélation avec la possibilité de résilier tout ou partie des droits cédés.


Cet article n'a dès lors plus aucun sens à prévoir la possibilité de résilier une "partie des droits" seulement de l'auteur. Une absence de toute exploitation de l'oeuvre commande en effet nécessairement la résiliation de l'ensemble des droits. Cette scorie ("partie de ces droits") constitue le résidu inavouable de la volonté bafouée du législateur européen.


Il s’agit selon nous d’une traduction pour les besoins de la cause, afin de ne pas remettre en cause des dispositions particulièrement défavorables aux auteurs du secteur du livre, dans lequel une simple impression à la demande d’un ouvrage est susceptible d’être considéré comme une exploitation suffisante pour ne pas mettre en jeu la possibilité de résilier un contrat d’auteur.


Le gouvernement a donc probablement fait ce petit "arrangement" de traduction pour éviter que cette "impression à la demande" puisse être un jour contestée par un auteur ou une autrice du livre.


Les auteurs des autres secteurs apprécieront. Quant aux scénaristes et aux réalisateurs je n'en parle même pas car ils ont été simplement exclus du bénéfice du nouvel article L.131-5-2, pour de très mauvaises raisons que j'exposerai dans une prochaine publication.


Pour conclure, retenez simplement que les auteurs français devront systématiquement engager de couteux contentieux pour récupérer leurs droits, et que pour cette raison ils ne le feront pas.

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