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Denis Goulette

Les "clauses de best seller" peuvent être forfaitaires, inappropriées et injustes.


La directive européenne du 17 avril 2019 a demandé aux Etats membre de tenir compte des situations contractuelles souvent défavorables aux auteurs.

« les auteurs (…) ont tendance à se trouver dans une position contractuelle moins favorable lorsqu’ils (…) transfèrent leurs droits (…) aux fins de l’exploitation en contrepartie d’une rémunération, et ces personnes physiques ont besoin de la protection prévue par la présente directive (…) ».


Pour pallier ce désavantage systémique dans les relations contractuelles, la directive a posé le principe suivant : la rémunération des auteurs doit être « appropriée et proportionnelle à la valeur économique réelle ou potentielle des droits octroyés sous licence ou transférés, compte tenu de la contribution de l’auteur » à l’œuvre concernée.


Pour faire respecter ce principe, la directive demande à chaque État membre d’adopter un mécanisme intitulé "Mécanisme d'adaptation des contrats".


Les bases de ce mécanisme ont été fixées par l'article 20 de la directive, qui prévoit que les auteurs pourront bénéficier d’une rémunération supplémentaire appropriée et juste lorsque leur rémunération proportionnelle se révèle exagérément faible par rapport à l’ensemble des revenus ultérieurement tirés de leur œuvre.


La traduction française qui a été faite du terme original anglais de la directive est clairement en défaveur des auteurs, et trahit selon nous l’intention du parlement européen et de la commission européenne. Dans le texte original, la directive entendait remédier aux rémunérations initiales qualifiées de « disproportionately low ». Pour des raisons que nous ignorons, la version française de l’article 20 de la directive a traduit ces termes par « exagérément faible ».


Malheureusement pour les auteurs, la terminologie « exagérément » se limite à décrire une situation extrême, sans référent permettant de l’apprécier, alors que la terminologie anglaise initiale garde la notion de proportionnalité comme référent, ce qui est plus protecteur pour l’auteur, et reflète l’esprit ayant présidé à l’adoption de la directive par la commission européenne et le parlement européen.


Ce changement de traduction est d’autant plus incompréhensible que en 2016, un rapport d’information déposé par la Commission européenne à l’Assemblée nationale faisait état des propositions de la Commission européenne relatives à la protection du droit d’auteur dans le Marché Unique du Numérique.


Le chapitre sur la transparence et la modification des contrats de ce rapport traduisait alors le même article et les mêmes dispositions que ce qui nous occupe par « disproportionnellement faible ».


Pourquoi dans ces conditions ce terme a-t-il été remplacé par le terme « exagérément faible » entre 2016 et 2019 ? Quel lobbying a-t-il été à l'oeuvre ?


L’argument visant à expliquer que ce changement aurait été dicté par un souci de traduire « en bon français » est selon nous fallacieux, car il existe de nombreux documents officiels provenant de l’Union Européenne ou de l’OCDE, où les termes « disproportionately low » ont été traduit par « disproportionnellement faible » ou équivalent.


Nous renvoyons nos lecteurs ou lectrices vers les liens suivants :


Dans son rapport du 5 mars 2020, fait au nom de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation de l'Assemblée national sur le projet de loi, la Rapporteure générale Mme Aurore Bergé déplorait "les risques liés à l’imprécision de certains termes choisis (...). La caractérisation de ce qu’est une rémunération proportionnelle « exagérément faible » semble ainsi laisser une large marge d’interprétation qui pourrait diminuer la pertinence de la notion. »


A ce niveau, il faut comprendre que seules les juridictions européennes seraient en mesure de statuer sur une contestation de la traduction réalisée par un Etat membre de la directive. Il s'agirait d'un contentieux très couteux, qu'il est peu probable de voir un jour compte tenu de la faiblesse des syndicats et organisations professionnelles d'auteurs en France.


En revanche, une fois le texte français de la directive adopté au niveau européen, on aurait pu imaginer que le gouvernement français respecte au minimum cette traduction peu favorable aux auteurs.


Et bien non, le gouvernement français a choisir de transposer le mécanisme d'une manière encore plus défavorable, en décidant de ne pas faire référence à l'exigence d'une rémunération supplémentaire "appropriée et juste" lorsque la rémunération initialement convenue se révèle exagérément faible.


Pour vous aider à bien cerner ce point nous vous reproduisons le texte de la directive européenne, et le texte de la transposition réalisée par l'ordonnance du gouvernement.


Texte de la directive :

"En l'absence d'accord collectif applicable prévoyant un mécanisme comparable à celui énoncé dans le présent article, les États membres veillent à ce que les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants ou leurs représentants aient le droit de réclamer à la partie avec laquelle ils ont conclu un contrat d'exploitation des droits ou aux ayants droits de cette partie, une rémunération supplémentaire appropriée et juste lorsque la rémunération initialement convenue se révèle exagérément faible par rapport à l'ensemble des revenus ultérieurement tirés de l'exploitation des œuvres ou des interprétations ou exécutions. "


Texte de l'ordonnance de transposition :

"L’auteur a droit à une rémunération supplémentaire lorsque la rémunération proportionnelle initialement prévue dans le contrat d’exploitation se révèle exagérément faible par rapport à l’ensemble des revenus ultérieurement tirés de l’exploitation par le cessionnaire. Afin d’évaluer la situation de l’auteur, il peut être tenu compte de sa contribution."

Ce droit est "applicable en l’absence de disposition particulière prévoyant un mécanisme comparable dans le contrat d’exploitation ou dans un accord professionnel applicable dans le secteur d’activité."


Comme vous pouvez le lire, il n'est fait aucune obligation de remédier à une rémunération disproportionnellement faible par une rémunération appropriée et juste. Il n'est même pas fait l'obligation d'y remédier par une rémunération proportionnelle. Une simple rémunération forfaitaire destinée à dédommager l'auteur pourra ainsi être proposée à l'auteur qui oserait mettre en oeuvre ce mécanisme, sans que cela ne remette en cause l'esprit de la loi française.


Nous y voyons une grave entorse au principe de rémunération proportionnelle des auteurs, car un tel mécanisme ne pourra qu’encourager les exploitants à proposer des rémunérations proportionnelles initialement basses, du fait que la sanction envisagée, à savoir la révision de ce prix, pourrait de fait être forfaitaire, inappropriée et injuste.


Enfin vous noterez que là où la directive européenne entendait permettre aux syndicats de pouvoir conclure des accords collectifs pour la mise en oeuvre de ce mécanisme, le gouvernement français a ajouté une possibilité qui ne figure pas dans la directive.


Le nouvel article L.131-5.II du code de la propriété intellectuelle prévoit en effet que ce droit est "applicable en l’absence de disposition particulière prévoyant un mécanisme comparable dans le contrat d’exploitation".


Le gouvernement entend ainsi permettre aux producteurs, éditeurs et autres exploitants de droits d'auteurs d'insérer dans les contrats qu'ils imposent aux auteurs les conditions qui permettraient à l'auteur de venir contester ultérieurement la rémunération qu'il lui ont proposé. Autrement dit, le gouvernement entend conférer aux exploitants le pouvoir d'être juge et partie de ce qu'ils entendent être une rémunération qui n'est pas exagérément faible.


La pratique a d'ores et déjà intitulé ces futures clauses de clauses dites de "best seller".


Cet ajout est selon nous contraire à l'esprit de la directive qui justement introduisait ce mécanisme de révision du prix en considération de la faiblesse contractuelle des auteurs. On peut également citer le rapport Racine qui qualifie la plupart des contrats proposés aux auteurs de "contrats d’adhésion" pour lesquels les artistes-auteurs disposent de peu voire pas de marge de négociation.





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